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zum 80. Geburtstag
Pierre Boulez – zum 80. Geburtstag
Les meilleures choses ayant une fin, autant les bien finir.
Aussi la scène de la Deutsche Staatsoper accueille-t-elle en fin d'après-midi un dernier concert, réparti entre la Staatskapelle Berlin et les solistes de l'Ensemble Intercontemporain dans un programme entièrement consacré aux œuvres les plus récentes de Pierre Boulez. C'est donc avant tout le compositeur qu'on honore, cette fois, à commencer par Anthèmes 2, joué par David Poissonnier aux commandes de la techniques Ircam et Yuan-Quing Yu au violon, l'un des solistes du Chicago Symphony Orchestra.
En 1991, Boulez écrit Anthèmes pour violon solo, créé la même année par Irwin Arditti. Le compositeur est homme à visiter son propre travail et en développer certains aspects jusqu'à les faire éclore à une vie nouvelle sous une autre forme. Ainsi, en collaboration étroite avec Andrew Gerzso à l'Ircam, réalise-t-il quelques années plus tard Anthèmes 2 pour violon et électronique live dont la première a lieu aux Donaueschinger Musiktage par Hae Sun Kang (de l'EIC) à l'automne 1997. Le compositeur aime terriblement la virtuosité : l'art de la violoniste y est rudement mis à l'épreuve, et comme s'il n'y aurait pas suffi, il a fallu que la machine pallie certaines impossibilités physiques – comme une succession inhumaine de pizzicati, par exemple, qu'aucune main ne saurait exécuter, aussi agile, calleuse et endurante soit-elle – pour élever ce désir de virtuosité à un degré encore jamais atteint. Le travail avec la machine est tout inventivité, répondant, prolongeant, mais aussi disséquant et enveloppant la partie acoustique d'un certain nombre d'effets qu'aucun autre instrument pourrait produire mais que notre oreille perçoit parfaitement.
Neuf musiciens de l'Ensemble Intercontemporain gagnent le plateau et donnent Sur Incises sous la battue du maître. Dans le processus du work in progress si cher à l'œuvre boulézienne, l'inachèvement aussi tient sa place. Il avait été question d'un concerto pour piano à concevoir pour Maurizio Pollini ; mais il n'existe pas. On peut rappeler également que la Troisième Sonate pour piano prévoit cinq mouvements : on n'en connaît que deux sur les trois écrits, le projet reste donc en suspens. En 1994, Pollini commande à Boulez une courte pièce pour le concours Umberto Micheli. Ainsi naît Incises avec lequel Gianluca Cascioli devient le lauréat du prestigieux concours. Mais, si Dimitri Vassilakis en donne une nouvelle mouture en 1999 à New York, Incises demeure inachevé, si l'on considère le plan dressé par le compositeur lui-même à ce moment là (y reviendra-t-il ?). Pourtant, il se lance dans l'écriture d'une œuvre d'une vingtaine de minutes, Sur Incises, réunissant un ensemble où dominent les instruments résonnants – piano, harpe, cymbalum, marimba –, qu'il créé à Paris en avril 1996 lors d'un concert pour les quatre-vingt dix ans de Paul Sacher, puis dans une nouvelle extension du matériau qui donnera la nouvelle version de Sur Incises, pour trois pianos, trois harpes et trois percussionnistes – le cymbalum est parti – que créée David Robertson à Edimbourg pendant l'été 1998, la création continentale ayant lieu à Bâle en octobre et sous la direction du maître.
C'est, bien sûr, celle-ci qu'il conduit cet après-midi, occupant près de quarante minutes, prenant le temps de poser l'énigmatique préambule à la large articulation avant que de se lancer dans le profus développement rythmique et voyageur qui traverse l'œuvre d'une énergie décoiffante autant que durable. À la fois sauvage comme un Sacre de chambre et diablement organisé – les périodes se superposent et se contaminent jusqu'à former une trame complexe qui n'a de cesse d'avancer, par un procédé fabuleusement contrôlé –, Sur Incises paraît traversé d'une violente frénésie et abandonne soudain les pianos dans un rappel des blocs du début qu'on soupçonne libre, la main du chef attendant le moment propice pour conclure en éteignant simplement la résonance, comme s'il désactivait tout simplement l'infernal moteur de sa composition.
En 1945, Boulez écrit douze Notations pour piano, un recueil joué par Yvette Grimaud l'année suivante, qu'il ne désire pas rendre public, jusqu’à l’exclure de son catalogue. Si l'on en trouve toutefois certains aspects dans Pli selon pli, il demeure oublié durant de nombreuses années, avant qu'une indiscrétion le rende publique. En réaction, le compositeur s'en empare pour en faire autre chose, les Notations pour orchestre, qui le lieront encore un peu plus à Daniel Barenboim, leur créateur à la tête de l'Orchestre de Paris en 1980. Très caractérisées, d'un abord qu'on pourra dire plus facile, les quatre pièces de 1980 sont parmi les plus appréciées du public. La commande suit son cours : ainsi le Chicago Symphony Orchestra et le même chef créent-ils la Notation VII en janvier 1999, quelques mois avant la première parisienne par Chung, et la Huitième devrait-elle bientôt venir – mais l’on peut aussi imaginer que, comme bien souvent, l’édifice trouvera en partie sa raison d’être dans le fragment. L'ordre des désormais cinq mouvements de Notations est laissé à l'appréciation du chef, sachant que Boulez invite fortement à placer la Deuxième en fin de parcours.
Barenboïm conduit la Staatskapelle Berlin dans les Notations I, III, IV, VII, II. L'exécution de la Première est un rien laborieuse, tandis que la Troisième bénéficie d'un lyrisme assez porteur, malgré quelques imprécisions notoires. Rythmique est ensuite comprise comme brutale, sans que cette lecture rende compte des différents plans sonores, ce qui l'appauvrit considérablement. Cela dit, dans les grandes lignes, cela fonctionne et emportera l'adhésion du public. La Hiératique (VII) s'avère nettement plus soignée, tandis que le Très vif offre un final lourdement cordial, certes plus sympathique que raffiné. C'est aussi cela, le jeu de l'interprétation : pourquoi pas ?
Ce concert intitulé Hommage à Pierre Boulez zum 80. Geburtstag ferme un cycle réussi grâce aux concours d'excellents musiciens, à l'acoustique exceptionnelle de la Philharmonie berlinoise, sans doute principalement grâce à l'admiration qu'on porte ici à l'une des personnalités les plus marquantes de la musique.
BB